CHAPITRE SEPT : DIVERSES PORTES D’ACCÈS AU NON-MANIFESTE
HABITER PLEINEMENT SON CORPS
J’arrive à sentir l’énergie dans mon corps, surtout dans mes bras et mes jambes, mais j’ai l’impression de ne pas pouvoir aller plus loin, comme vous l’avez suggéré plus tôt.
Faites-en une méditation. Cela n’a pas besoin d’être long. Dix à quinze minutes suffisent. Assurez-vous tout d’abord qu’aucune distraction extérieure – le téléphone – ou des gens, ne viendra vous déranger. Installez-vous sur une chaise sans vous renverser vers l’arrière. Gardez la colonne vertébrale bien droite. Ceci vous aidera à rester alerte. Ou bien alors, adoptez votre position préférée de méditation.
Assurez-vous que votre corps est détendu. Fermez les yeux et prenez quelques respirations profondes. Sentez-vous respirer dans la partie basse de l’abdomen, pour ainsi dire. Observez les légères expansion et contraction qui se produisent à l’inspiration et à l’expiration. Puis prenez conscience du champ énergétique du corps tout entier. Ne réfléchissez pas à ce qui se passe ; ressentez-le plutôt. De cette manière, vous ne laissez pas le mental s’approprier votre conscience. Si cela peut vous être utile, servez-vous de la méditation de la lumière dont j’ai parlé déjà. Quand vous arrivez à clairement sentir le corps subtil comme un seul champ énergétique, laissez aller, si c’est possible, toute image pour vous concentrer exclusivement sur la sensation. Si c’est possible aussi, abandonnez toute image mentale que vous pouvez encore avoir du corps physique. Ce qui reste alors, c’est une sensation de présence ou « d’être » qui englobe tout et l’impression que le corps énergétique n’a pas de frontière. Puis concentrez votre attention encore plus profondément sur cette sensation. Ne faites plus qu’un avec elle, fusionnez avec votre champ énergétique afin d’éliminer toute dualité perceptuelle observateur-observé entre vous et votre corps. La distinction entre l’intérieur et l’extérieur se dissipe ; dorénavant, il n’y a plus de corps énergétique. En descendant profondément dans le corps, vous l’avez transcendé. Restez dans ce royaume de pur Être aussi longtemps que vous êtes à l’aise. Puis, reprenez conscience de votre corps physique, de votre respiration et de vos sens, et ouvrez les yeux. Pendant quelques minutes, regardez autour de vous de façon méditative, c’est-à-dire sans étiquetage mental, tout en continuant à sentir votre corps énergétique.
§
Lorsque vous avez accès à ce royaume dépourvu de formes, vous êtes vraiment libéré du lien avec la forme et de toute identification à celle-ci. Il s’agit de la vie sous son aspect non particularisé, telle qu’elle existe avant sa fragmentation en la multiplicité. On pourrait l’appeler le non-manifeste, la source invisible de toutes choses, l’Être à l’intérieur de tous les êtres. C’est un royaume d’immobilité et de paix profonde, mais aussi de grande joie et d’intense vitalité. Chaque fois que vous faites preuve de présence, vous devenez dans une certaine mesure perméable à la lumière, à la conscience pure qui émane de cette source. Vous prenez également conscience que cette lumière n’est pas dissociée de ce que vous êtes et qu’elle constitue au contraire votre essence même.
LA SOURCE DU CHI
Le non-manifeste correspond-il à ce que l’on appelle le chi en Extrême-Orient ? À une sorte d’énergie vitale universelle ?
Non, ce n’est pas cela. Le non-manifeste est la source du chi, et ce dernier est le champ énergétique de votre corps. En fait, il sert de lien entre votre enveloppe extérieure et la Source. Il se situe à mi-chemin entre le manifeste, le monde de la forme et le non-manifeste. On peut le comparer à une rivière ou à un courant d’énergie. Si vous amenez profondément votre attention et votre conscience dans votre corps énergétique, vous remonterez le cours de cette rivière jusqu’à sa source. Le chi est mouvement. Le non-manifeste est immobilité. Lorsque vous atteignez le point d’immobilité absolue, qui vibre néanmoins de vitalité, vous êtes rendu au-delà du corps subtil et du chi, soit à la Source même, au non-manifeste. Le chi est le lien entre le non-manifeste et l’univers physique.
Alors, si vous amenez votre attention au plus profond du corps énergétique, il se peut que vous atteigniez ce point singulier où le monde se dissout pour devenir le non-manifeste et où celui-ci se révèle sous la forme du courant énergétique qu’est le chi, qui à son tour devient le monde. Ce point singulier est celui de la naissance et de la mort. Lorsque votre conscience est dirigée vers l’extérieur, le monde et le mental voient le jour. Lorsqu’elle est dirigée vers l’intérieur, elle actualise sa propre source et retourne à sa demeure originelle dans le non-manifeste. Puis, quand votre conscience revient vers le monde manifeste, vous retrouvez l’identité de la forme que vous avez temporairement délaissée. De nouveau, vous avez un nom, un passé, des conditions de vie, un futur. Mais, essentiellement, vous n’êtes plus la même personne, car vous avez fugitivement eu un aperçu d’une réalité en vous qui n’est pas « de ce monde », bien qu’elle n’en soit pas dissociée, tout comme elle n’est pas dissociée de vous.
Laissez votre pratique spirituelle être la suivante : quand vous vaquez à vos occupations, n’accordez pas toute votre attention au monde extérieur et à votre mental. Maintenez-en une partie vers l’intérieur. Il a déjà été question de cela précédemment. Sentez votre corps subtil même quand vous êtes occupé par vos activités quotidiennes, en particulier dans le cadre de vos relations ou quand vous vous trouvez dans la nature. Sentez l’immobilité au plus profond de vous. Maintenez cette porte d’accès ouverte. Il est tout à fait possible d’être conscient du non-manifeste dans votre vie. Il se présente comme une sensation profonde de paix à l’arrière-plan, une tranquillité qui ne vous quitte jamais, peu importe ce qui se produit dans le monde extérieur. Vous devenez un pont entre le non-manifeste et le manifeste, entre Dieu et le monde. Ceci est l’état de rapport intime avec la Source que nous appelons illumination.
Ne vous méprenez pas : le non-manifeste n’est pas séparé du manifeste. Comment pourrait-il l’être ? Il est la vie qui anime chaque forme, l’essence inhérente à tout ce qui existe. Il transcende ce monde. Laissez-moi vous expliquer un peu.
LE SOMMEIL SANS RÊVES
Chaque nuit, lorsque vous entrez dans la phase de sommeil profond, celle qui est dénuée de rêves, vous faites une incursion dans le royaume du non-manifeste. Vous fusionnez avec la Source et en retirez l’énergie vitale qui vous sustente pendant un bout de temps quand vous êtes revenu dans le monde manifeste, celui des formes distinctes. Cette énergie est beaucoup plus vitale que la nourriture, « car l’homme ne vit pas que de pain ». Mais dans le sommeil sans rêves, vous n’allez pas dans le non-manifeste consciemment. Bien que les fonctions corporelles soient encore actives, « vous » n’existez plus dans cet état-là. Pouvez-vous imaginer ce que cela serait d’entrer dans la phase de sommeil sans rêves en toute conscience ? Il est impossible d’imaginer une telle chose, puisque cet état-là n’a aucun contenu.
Le non-manifeste ne vous libère pas tant et aussi longtemps que vous n’y accédez pas consciemment. Voilà pourquoi Jésus a dit : « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera » et non pas seulement « La vérité vous libérera ». Il ne s’agit pas d’une vérité conceptuelle mais bien de la vérité de la vie éternelle au-delà de toute forme, qui est appréhendée directement ou pas du tout.
Mais n’essayez pas de rester conscient dans le sommeil sans rêves. Il est fort improbable que vous y réussissiez. Au plus, il se peut que vous restiez conscient pendant le sommeil onirique, mais pas au-delà. On appelle cela le sommeil onirique lucide, chose intéressante et fascinante mais qui ne libère pas.
Utilisez donc votre corps énergétique comme une porte vous donnant accès au non-manifeste et gardez cette porte entrebâillée afin de pouvoir rester en contact avec la Source en tout temps. En ce qui concerne le corps subtil, peu importe que votre corps physique soit jeune ou vieux, fragile ou fort. Le corps énergétique est intemporel. Si vous n’arrivez pas encore à le sentir, utilisez une des autres portes d’accès, bien qu’en fin de compte elles reviennent toutes à la même chose. J’ai déjà parlé en détail de certaines d’entre elles, mais je vais en reparler brièvement.
AUTRES PORTES D’ACCÈS
On peut dire que le présent est la principale porte d’accès au non-manifeste. Il est également un aspect essentiel de chacune des autres portes d’accès, le corps énergétique y compris. Vous ne pouvez pas être dans votre corps sans être intensément présent à l’instant.
Le temps et le manifeste sont aussi inextricablement liés que le sont l’intemporel présent et le non-manifeste. Lorsque vous dissipez le temps psychologique en étant intensément conscient du moment présent, vous devenez conscient du non-manifeste aussi bien directement qu’indirectement. Directement parce que vous le ressentez comme le rayonnement et la force de votre présence consciente. Aucun contenu, juste la présence. Indirectement parce que vous êtes conscient du non-manifeste par et dans le royaume des sens. Autrement dit, vous sentez l’essence divine dans chaque créature, chaque fleur, chaque pierre et vous réalisez que tout ce qui est, est sacré. C’est pour cela que Jésus, qui s’exprimait à partir de son essence divine, de son identité christique, dit dans l’Évangile selon Thomas : « Coupez un morceau de bois, et vous m’y trouverez. Ramassez une pierre, et vous m’y trouverez aussi. »
Une autre façon d’accéder au non-manifeste, c’est de cesser de penser. Vous pouvez commencer très simplement en prenant une inspiration consciente ou en regardant une fleur dans un intense état de vigilance, de manière qu’aucun commentaire mental ne se produise en même temps. Il existe de nombreuses façons de créer une discontinuité dans l’incessant flot des pensées. La méditation en est une. La pensée appartient au monde du manifeste. L’activité mentale continue vous maintient prisonnier du monde de la forme et constitue un écran opaque vous empêchant de prendre conscience du non-manifeste, de l’essence divine intemporelle et sans forme qui est en vous et en toute chose et toute créature. Quand vous êtes intensément présent, vous n’avez plus besoin de vous préoccuper de cesser de penser, bien entendu, puisque le mental s’arrête automatiquement. C’est pour cette raison que j’ai affirmé que le présent constituait un aspect essentiel de chacune des autres portes d’accès au non-manifeste.
Le lâcher-prise, c’est-à-dire l’abandon de toute résistance mentale et émotionnelle face à ce qui est, est aussi une porte d’accès au non-manifeste. La raison à cela en est simple : quand vous résistez intérieurement, vous vous coupez des autres, de vous-même et du monde environnant. La résistance accentue la sensation de division dont l’ego dépend pour survivre. Plus la sensation de division est forte, plus vous êtes lié au manifeste, au monde des formes. Et plus vous êtes lié au monde de la forme, plus votre identité par la forme se cristallise et plus elle devient hermétique. La porte d’accès est fermée et vous êtes coupé de votre dimension intérieure, celle de la profondeur. Quand vous êtes dans un état de lâcher-prise, votre identité à la forme s’adoucit et devient pour ainsi dire en quelque sorte perméable. Ainsi, le non-manifeste peut irradier de vous.
Ouvrir une porte qui vous donne consciemment accès au non-manifeste ne dépend que de vous. Contacter son corps énergétique, être intensément présent, se désidentifier du mental, lâcher prise face à ce qui est, voilà autant de portes d’accès que l’on peut emprunter. Il suffit juste d’en utiliser une.
L’amour doit certainement être une de ces portes d’accès n’est-ce pas ?
Non. Dès qu’une de ces portes s’ouvre, l’amour est présent en vous sous la forme de la sensation de réalisation de l’Un. L’amour n’est pas une porte d’accès ; c’est plutôt ce qui se retrouve dans le monde grâce à cette ouverture. Aussi longtemps que vous êtes pris au piège de l’identité par la forme, il ne peut y avoir d’amour. Il ne s’agit pas de chercher l’amour, mais de trouver une porte d’accès par laquelle l’amour puisse passer.
LE SILENCE
Est-ce qu’il existe d’autres portails au manifeste que ceux que vous venez de mentionner ?
Oui. Le non-manifeste n’est pas dissocié du manifeste et il est omniprésent en ce monde. Mais il est si bien déguisé que presque tout le monde passe complètement à côté. Si vous savez où regarder, vous le trouverez partout. Une porte d’accès au non-manifeste peut s’ouvrir en vous à chaque instant.
Entendez-vous ce chien aboyer au loin ? Ou cette voiture qui passe ? Écoutez attentivement. Pouvez-vous y sentir la présence du non-manifeste ? Cherchez-le dans le silence d’où émergent et retournent les sons. Prêtez davantage attention au silence qu’aux sons. Quand vous prêtez attention au silence extérieur, le silence intérieur apparaît, le mental s’immobilise et une porte s’ouvre.
Tous les sons naissent du silence, retournent y mourir et y évoluent pendant leur durée de vie. Seul le silence permet au son d’exister. Il fait intrinsèquement partie de chaque son, de chaque note de musique, de chaque chanson, de chaque mot, et ce, de façon non manifeste. Dans ce monde, le non-manifeste est présent sous la forme de silence. C’est pour cette raison que l’on dit depuis toujours que rien dans ce monde ne ressemble plus à Dieu que le silence. Tout ce que vous avez à faire, c’est y prêter attention. Même au cours d’une conversation, prenez conscience des intervalles entre les mots, des brefs instants silencieux entre les phrases. Quand vous faites cela, la dimension de l’immobilité prend de l’ampleur en vous. Vous ne pouvez prêter attention au silence extérieur sans simultanément trouver le calme à l’intérieur. Silence à l’extérieur, tranquillité à l’intérieur. Vous avez alors pénétré le non-manifeste.
LE VIDE
Tout comme il est impossible qu’un son quelconque soit sans le silence, rien ne peut exister sans le néant, sans l’espace vide permettant à toute chose d’être. Tout corps ou tout objet physique émane du néant, est entouré du néant et y retournera à un moment ou à un autre. Non seulement cela, mais même à l’intérieur de tout corps physique, il y a beaucoup plus de « rien » que de « quelque chose ». Selon les physiciens, la solidité de la matière n’est qu’une illusion. La matière prétendument solide, y compris votre corps physique, est constituée presque en totalité de vide, tellement les distances entre les atomes sont grandes comparativement à leur taille. De plus, il en est de même à l’intérieur de chaque atome. Ce qui reste ressemble plus à une fréquence vibratoire qu’à des particules de matière solide, soit davantage à une note de musique. Les bouddhistes savent cela depuis plus de deux mille cinq cents ans. « La forme, c’est le vide, et le vide, c’est la forme », dit le soutra du cœur, un des plus anciens et des plus connus recueils bouddhistes. L’essence de toute chose, c’est le vide.
Le non-manifeste est non seulement présent dans ce monde sous la forme de silence, mais omniprésent dans l’univers physique entier sous la forme de vide, à l’intérieur comme à l’extérieur. Il est aussi facile de passer à côté du vide que du silence. Tout le monde porte attention aux choses qui se trouvent dans le vide, mais qui s’attarde au vide lui-même ?
Vous semblez sous-entendre que le « vide » ou le « rien » n’est pas rien justement, qu’il a de par lui quelque mystérieuse qualité. Qu’est-ce donc que ce rien ?
Vous ne pouvez poser une telle question. Votre tête est en train d’essayer de faire quelque chose avec le rien. Dès cet instant, vous passez à côté. Le néant, le vide, est l’aspect que prend le non-manifeste en tant que phénomène extériorisé dans un monde perçu par les sens. C’est le plus que l’on puisse en dire, et même cela, c’est une sorte de paradoxe. Le néant ne peut pas devenir un objet de connaissance. Il est impossible de faire un doctorat sur le « rien », sur le néant. Lorsque les savants étudient le vide, ils en font habituellement quelque chose et en manquent ainsi complètement l’essence. Il n’est donc pas surprenant que la dernière théorie sur le vide avance que celui-ci n’est pas vide du tout, qu’il est rempli d’une certaine substance. Une fois que vous avez une théorie, il n’est pas trop difficile de trouver les preuves pour l’étayer, du moins jusqu’à ce qu’une autre théorie se présente.
Pour vous, le « rien » peut devenir une porte d’accès au non-manifeste seulement si vous n’essayez pas de le saisir et de le comprendre.
Mais n’est-ce pas ce que nous sommes en train de faire ici ?
Pas du tout. Je vous donne des indications pour vous montrer comment vous pouvez amener la dimension du non-manifeste dans votre vie. Nous n’essayons pas de le comprendre, car il n’y a rien à comprendre.
Le vide n’a pas d’existence propre. Littéralement, « exister » veut dire « se distinguer de ». Vous ne pouvez donc pas comprendre le vide, car il ne se distingue de rien. Bien qu’il n’ait aucune existence propre, il permet à toute chose d’être. Le silence non plus n’a pas d’existence propre, pas plus que le non-manifeste.
Alors, que se produit-il si vous détachez votre attention des objets se trouvant dans l’espace et devenez plutôt conscient de l’espace lui-même ? Quelle est l’essence de cette pièce ? Les meubles, les tableaux et le reste se trouvent dans la pièce mais ils ne sont pas la pièce. Le plancher, les murs et le plafond délimitent la pièce, mais ne sont pas non plus cette pièce. Alors, qu’est-ce que l’essence de cette pièce ? L’espace, bien sûr, le vide. Il n’y aurait pas d’endroit, pas cet « espace de pièce » sans lui. Puisque l’espace, c’est le « rien », nous pouvons affirmer que ce qui n’est pas là est plus important que ce qui est là. Prenez donc conscience de l’espace qui est là tout autour de vous. N’y pensez pas, mais sentez-le, pour ainsi dire. Prêtez attention à ce « rien ». Lorsque vous le faites, il se produit en vous un changement sur le plan de la conscience. Je vous explique pourquoi. Les objets dans l’espace (meubles, murs, etc.) trouvent leurs correspondants en vous sous la forme d’objets mentaux : pensées, émotions et sens. Et l’équivalent intérieur de l’espace, c’est la conscience qui permet aux objets mentaux d’exister, tout comme l’espace permet aux objets physiques d’être là. Donc, si vous détachez votre attention des choses, des objets dans l’espace, automatiquement vous détachez aussi votre attention des objets mentaux. Autrement dit, vous ne pouvez pas penser et être conscient du vide, ni du silence d’ailleurs. En prenant conscience du vide autour de vous, vous prenez simultanément conscience de l’espace du vide mental, de la conscience pure, du non-manifeste. De cette façon, la contemplation de l’espace, du vide, peut devenir pour vous une porte d’accès au non-manifeste.
Le vide et le silence sont deux aspects de la même chose, de ce même rien. Ils ne sont que la manifestation extérieure du vide et du silence intérieurs, de l’immobilité intérieure, la matrice infiniment créatrice de tout ce qui est. La plupart des humains sont complètement inconscients de cette dimension. Il n’y a pas d’espace en eux, pas d’immobilité. Ils ont perdu leur équilibre. Somme toute, ils connaissent le monde, ou pensent le connaître, mais ils ne connaissent pas Dieu. Ils s’identifient exclusivement à leurs formes physique et psychologique, et sont inconscients de leur essence innée. Et du fait que toute forme est extrêmement changeante, ils vivent dans la peur. À son tour, cette peur engendre une profonde et fausse perception d’eux-mêmes et des autres humains. Elle crée une distorsion de leur vision du monde.
Si une contraction cosmique amenait la fin du monde, le non-manifeste n’en subirait absolument aucune conséquence. Dans l’ouvrage Un cours sur les miracles, cette vérité est énoncée avec éloquence : « Rien ne menace ce qui est réel. Rien d’irréel ne peut exister. Voici ce en quoi consiste la paix divine. »
Si vous restez consciemment en contact avec le non-manifeste, vous valorisez, aimez et respectez profondément le manifeste et chacune de ses formes comme étant l’expression de l’Un au-delà de la forme. Vous savez également que chaque forme est destinée à disparaître et que, en fin de compte, rien n’a vraiment d’importance dans la dimension du manifeste. Vous avez « dépassé le monde » comme le dit Jésus ou, selon Bouddha, « vous êtes passé sur l’autre rive ».
LA VÉRITABLE NATURE DU VIDE ET DU TEMPS
Réfléchissez maintenant à ce que je vais vous dire : s’il n’y avait rien d’autre que le silence, celui-ci n’existerait pas pour vous et vous ne sauriez pas ce que c’est. C’est seulement à l’avènement d’un son que le silence en vient à être. De façon similaire, s’il y avait seulement l’espace et aucun objet dedans, celui-ci n’existerait pas non plus pour vous. Imaginez-vous tel un point de conscience flottant dans l’immensité de l’espace dépourvu d’étoiles et de galaxies. Juste le vide. Tout d’un coup, l’espace ne serait plus vaste : il ne serait tout simplement pas. Il n’y aurait ni vitesse ni mouvement d’un point à un autre. Il faut au moins deux points de référence pour que les concepts de distance et d’espace puissent être. L’espace s’actualise dès l’instant où l’unicité devient dualité, et lorsque cette dualité devient « dix mille choses », expression empruntée à Lao-Tseu parlant du monde manifeste, l’espace devient de plus en plus vaste. Le monde et l’espace ne peuvent que coexister. Rien ne pourrait exister sans l’espace, et pourtant l’espace n’est rien. Avant la création de l’univers ou le big bang si vous préférez, il n’y avait aucun vaste espace attendant d’être rempli. Il n’y avait pas d’espace ; il n’y avait rien. Il n’y avait que le non-manifeste, l’Un. Quand l’Un est devenu « dix mille choses », l’espace a soudain semblé faire son apparition et permettre à la multiplicité d’exister. D’où est-il venu ? Dieu l’a-t-il créé pour y loger l’univers ? Bien sûr que non. Étant donné que l’espace n’est rien, il n’a jamais été créé. Par une belle nuit claire, sortez observer le ciel. Les milliers d’étoiles que vous pouvez voir à l’œil nu ne représentent qu’une fraction infinitésimale de ce qui est là. Grâce à de très puissants télescopes, on peut déjà repérer un milliard de galaxies, chacune d’entre elles désignant un « univers insulaire » contenant des milliards d’étoiles. Et plus impressionnant encore, c’est l’infinité de l’espace lui-même, la profondeur et l’immobilité qui laissent place à toute cette magnificence de l’être. Il n’y a rien de plus grandiose et de plus majestueux que l’inconcevable immensité et l’immobilité de l’espace. Et pourtant qu’est-ce que c’est ? Le vide, l’immense vide.
Ce qui pour nous prend la forme de l’espace dans l’univers, ainsi que nous le percevons à travers notre esprit et nos sens, est le non-manifeste qui s’extériorise. C’est le « corps » de Dieu. Et le plus grand miracle dans tout cela, c’est que l’immobilité et l’immensité qui permettent à l’univers d’être ne se trouvent pas uniquement dans l’espace, mais également en vous. Quand vous êtes complètement et totalement présent, vous retrouvez cette immobilité et cette immensité dans l’espace intérieur paisible qu’est le vide mental. En vous, cet espace est vaste par sa profondeur et non par l’expansion spatiale. En fin de compte, la profondeur infinie, cet attribut de l’unique réalité transcendantale, est faussement prise pour l’expansion spatiale.
Selon Einstein, l’espace et le temps sont indissociables. Je ne comprends pas vraiment ce concept, mais je pense qu’il signifie que le temps est la quatrième dimension de l’espace. Einstein l’appelle le « continuum spatio-temporel ».
Oui. Ce que vous percevez extérieurement comme l’espace et le temps ne sont finalement qu’une illusion, mais ils comportent un noyau de vérité. L’espace et le temps sont les deux attributs essentiels de Dieu, l’infinité et l’éternité, et sont perçus comme s’ils existaient à l’extérieur de vous. À l’intérieur de vous, aussi bien l’espace que le temps ont un équivalent qui révèle leur véritable nature ainsi que la vôtre. Alors que l’espace correspond au royaume infiniment profond et paisible du vide mental, le temps renvoie à la présence, à la conscience de l’éternel présent. Souvenez-vous qu’il n’y a aucune différence entre eux. Lorsque l’espace et le temps sont intérieurement actualisés comme le non-manifeste, c’est-à-dire le vide mental et la présence, ils continuent d’être pour vous mais deviennent beaucoup moins importants. Le monde existe toujours pour vous mais il ne vous contraint plus.
Par conséquent, l’ultime finalité du monde n’est pas dans le monde lui-même, mais dans sa transcendance. Tout comme vous ne pourriez être conscient de l’espace s’il n’était pas occupé par des objets, le non-manifeste a besoin du monde pour se réaliser. Vous avez peut-être déjà entendu le dicton bouddhiste suivant : « S’il n’y avait pas l’illusion, il n’y aurait pas l’illumination. » C’est à travers le monde et finalement à travers vous que le non-manifeste se fait connaître. Vous êtes ici pour permettre à la mission divine de l’univers de se déployer. Voilà à quel point vous êtes important !
LA MORT CONSCIENTE
À part le sommeil profond sans rêves dont j’ai déjà parlé, il existe une autre porte d’accès non volontaire. Celle-ci s’ouvre brièvement au moment de la mort physique. Même si vous avez raté toutes les autres occasions de réalisation spirituelle au cours de votre vie, une dernière porte s’ouvrira pour vous immédiatement après la mort du corps. Un nombre incalculable de gens ont rapporté avoir vu de leurs propres « yeux » cette « porte » sous forme de lumière radieuse et être revenus de ce qui est communément appelé une expérience de mort imminente. Un grand nombre de personnes ont mentionné avoir alors ressenti une sérénité béate et une paix profonde. Dans le Livre tibétain des morts, ce phénomène est décrit comme « la lumineuse splendeur de la lumière incolore », cette splendeur étant « votre véritable moi » ainsi que le dit le livre. Ce portail au non-manifeste ne s’ouvre que très brièvement et, à moins d’avoir déjà connu la dimension du non-manifeste au cours de votre vie, il est fort probable que vous passerez à côté. La plupart des gens ont accumulé en eux trop de résistance, trop de peur, trop d’attachement aux expériences sensorielles et trop d’identification au monde manifeste. Alors, quand ils sont sur le seuil du non-manifeste, ils s’en détournent par peur et perdent ensuite conscience. Ce qui se produit par après est en grande partie involontaire et automatique. En fin de compte, il y aura un autre cycle de naissance et de mort. La présence n’était pas encore assez forte chez ces gens pour qu’ils entrent consciemment dans l’immortalité.
Passer ce seuil ne se traduit donc pas par l’annihilation ?
Comme c’est le cas avec toutes les autres portes d’accès au non-manifeste, votre véritable et rayonnante nature se perpétue, mais pas la personnalité. Dans tous les cas, tout ce qui est réel ou d’une valeur véritable dans votre personnalité appartient à votre vraie nature. Ceci ne se perd jamais. Rien de valeur ou de réel ne se perd jamais.
À l’approche de la mort et au moment de celle-ci, c’est-à-dire lorsque la forme physique se dissout, c’est toujours une occasion unique de se réaliser spirituellement. Mais la plupart du temps, les humains passent dramatiquement à côté, puisqu’ils vivent dans une culture qui ignore presque totalement la mort et tout ce qui a vraiment de l’importance.
Chacune de ces portes donne accès à la mort, celle du faux moi. Quand vous passez le seuil de l’une d’elles, vous arrêtez de fonder votre identité sur votre forme psychologique, créée par le mental. Vous prenez alors conscience que la mort est une illusion, tout comme votre identification à la forme en était une. La fin de l’illusion, c’est tout ce que la mort est. Le mort n’est douloureuse qu’aussi longtemps que vous vous accrochez à l’illusion.